PÉRIGLACIAIRE (DOMAINE)

PÉRIGLACIAIRE (DOMAINE)
PÉRIGLACIAIRE (DOMAINE)

Le domaine périglaciaire fait partie des régions froides caractérisées par un bilan radiatif fortement négatif. L’atmosphère y cède plus de chaleur qu’elle n’en reçoit des diverses formes de rayonnement. Sous les hautes latitudes, cette situation résulte de l’absence de rayonnement solaire pendant la longue nuit polaire, tandis que la faible hauteur du Soleil estival au-dessus de l’horizon limite leur apport thermique, en raison de la forte épaisseur de la couche d’air à traverser et de leur étalement sur de grandes surfaces. Dans les hautes altitudes, le froid tient à la réduction de l’absorption du rayonnement solaire causée par la raréfaction et l’assèchement de l’air. La décroissance de la température avec l’altitude s’exprime par un gradient thermique de 0,6 à 0,7 0C par 100 mètres d’élévation jusqu’à la tropopause. Dans les deux cas, il faut aussi mettre en cause les pertes d’énergie par réflexion sur la glace et la neige, qui peuvent dépasser 95 p. 100 du rayonnement solaire (cf. BILAN RADIATIF DE LA TERRE, fig. 4).

Le froid constitue l’élément climatique dont les effets, directs ou indirects, sont les plus décisifs sur la morphogenèse et les aspects du relief de ce domaine. Il doit son qualificatif de «périglaciaire», proposé en 1909 par von face="EU Caron" ゲozi ski, à sa localisation généralement en marge des régions englacées des hautes latitudes et des montagnes élevées, c’est-à-dire en deçà de la limite des neiges permanentes. À l’opposé, la lisière septentrionale de la forêt boréale de conifères sépare approximativement les premières du domaine tempéré des moyennes latitudes, alors que les secondes sont bornées par la limite supérieure des forêts de l’étage subalpin.

Dans ces limites, le domaine périglaciaire actuel englobe environ 18 p. 100 des terres émergées. Outre les étages périglaciaires de montagne, il s’étend essentiellement sur les grands archipels et les vastes masses continentales des hautes latitudes de l’hémisphère Nord (fig. 1). Dans l’hémisphère Sud, maritime, il ne concerne que les petites îles perdues au milieu des océans et les rares portions déglacées de l’Antarctique.

Mais le domaine périglaciaire a connu une extension plus considérable à la faveur des glaciations quaternaires. On estime à plus de 10 millions de kilomètres carrés ses gains réalisés alors aux dépens du domaine tempéré, dont le modelé du relief apparaît fondamentalement hérité des périodes froides les plus récentes (cf. domaine TEMPÉRÉ). Les recherches effectuées dans les régions périglaciaires actuelles aident ainsi à la compréhension du façonnement du relief des pays tempérés.

Les climats du domaine périglaciaire actuel

Les régions de climat périglaciaire sont caractérisées par un hiver long et accentué et par une période de dégel court et limité. La présence de cette période de dégel permet de les séparer des régions de climat proprement glaciaire, sans dégel significatif, tandis que le caractère peu marqué de l’été les oppose aux régions «continentales» à hivers froids, mais a étés plus nets (cf. climats FROIDS, domaine GLACIAIRE).

Climats périglaciaires des hautes latitudes

C’est évidemment la latitude qui est la première responsable des traits de ces climats. L’hiver, le rayonnement solaire est très faible. La plupart des régions périglaciaires sont situées au-delà des cercles polaires. Il y a donc au moins quelques nuits de vingt-quatre heures, et de longues semaines où les jours sont réduits à quelques heures. En été, au contraire, les jours sont très longs, mais l’échauffement reste limité car le Soleil ne monte pas haut sur l’horizon. Ses rayons sont donc obliques, et ils traversent une grande épaisseur d’atmosphère avant d’atteindre le sol. Les circulations atmosphérique et océanique interviennent surtout pour apporter quelques nuances à l’intérieur du domaine périglaciaire. Les régions côtières, surtout dans le Vieux Monde, sont quelque peu réchauffées par des masses d’air en provenance des océans. De plus, des eaux atlantiques pénètrent jusque dans la mer de Barents, et en réchauffent légèrement les côtes: à près de 690 de latitude, le port de Mourmansk est libre de glaces. L’étroitesse du détroit de Béring limite la pénétration des eaux du Pacifique dans l’océan Arctique.

Le froid hivernal dure pendant l’essentiel de l’année. En général, les températures moyennes sont négatives de septembre à mai inclus, et bien des fleuves ne dégèlent qu’en juin. Les températures les plus basses sont observées assez tard, en février sur le continent américain, en mars en Eurasie. Les moyennes des mois les plus froids se situent entre – 20 et – 30 0C, et on a observé des minimums absolus de – 50 0C. (On notera que les températures les plus froides sont observées, dans l’hémisphère Nord, dans des stations qui n’appartiennent pas au domaine périglaciaire, car elles ont un été assez chaud. Trop au sud pour avoir un été peu marqué, elles doivent leur hiver hyperrigoureux à leur position continentale.)

L’hiver est aussi une saison sèche: la neige est peu épaisse; légère, elle est facilement soulevée par le vent. Sur les côtes de l’Alaska et dans la Norvège septentrionale, les températures sont un peu moins basses (moyenne autour de – 15 0C) et les précipitations plus fortes à cause de la proximité de l’océan. Il existe donc sur les côtes un climat périglaciaire atténué et humide, qui constitue un domaine original.

Après un printemps court et tardif, où l’augmentation de la longueur des jours précède nettement le réchauffement, l’été est bref. Les températures restent modérées. Certes, les moyennes se situent entre 0 et 10 0C, mais il n’y a guère de période sans gel (à Alert, île d’Ellesmere, 820 de latitude nord, en juillet 1963, il a gelé 18 nuits sur 31). Les précipitations sont moins modestes qu’en hiver, et on observe beaucoup de journées maussades et fraîches. Les temps clairs, assez rares, provoquent des montées sensibles de la température: on a observé plus de 30 0C jusqu’à 70-750 de latitude nord.

L’automne est précoce, et c’est la saison la plus perturbée par des tempêtes parfois violentes.

Climats périglaciaires de montagne

Les climats périglaciaires de montagne diffèrent sensiblement des climats de haute latitude, car ils sont dus plutôt à la faible densité de l’air qu’à la faiblesse du rayonnement solaire. L’air reste donc très froid, mais le rayonnement solaire est fort. Aussi, l’été surtout, quand le manteau neigeux a fondu, le sol peut s’échauffer et atteindre dans la journée des températures assez importantes. Ce fait a évidemment des conséquences notables sur la morphogenèse et la végétation.

Par ailleurs, il y a des différences considérables selon la latitude. Dans les régions tropicales et équatoriales, le domaine périglaciaire apparaît à de hautes altitudes (cf. domaine GLACIAIRE, fig. 3). Il n’y a pas de rythme saisonnier. Celui-ci reparaît aux latitudes tempérées: aux rythmes diurnes viennent ici s’ajouter des oppositions très marquées entre l’hiver et l’été.

On peut donc distinguer en définitive quatre types de climats périglaciaires: climats de haute latitude de nuance continentale; climats de haute latitude atténués par la position littorale; climats des hautes montagnes tropicales; climats des hautes montagnes tempérées.

Les systèmes morphogéniques

Les systèmes morphogéniques périglaciaires résultent de combinaisons réalisées entre des actions météoriques, des processus morphogéniques et de grands agents d’évacuation des matériaux. Leurs activités sont essentiellement réglées par l’intensité, la durée et la fréquence du gel.

Actions météoriques

La primauté du gel s’exprime par une nette prépondérance des actions mécaniques sur les processus chimiques et biochimiques. Son intervention sur les roches provoque une contraction des minéraux, qui paraît toutefois incapable d’entraîner une fragmentation. En revanche, le gel à l’état humide constitue un puissant agent de débitage. Cette gélifraction , ou cryoclastie , tient à l’augmentation de volume d’environ 9 p. 100 qui accompagne la transformation de l’eau libre des roches en glace, et crée des tensions internes engendrant des ruptures.

Selon l’importance et l’agencement de leurs vides, les roches sont plus ou moins gélives. Très poreuse, la craie est très sensible au gel et se fragmente en granules; les roches à structure schisteuse se débitent aussi aisément en paillettes. À cette microgélifraction s’oppose la macrogélifraction des roches compactes, caractérisée par le délogement de gros blocs, dû à l’exploitation par le gel des réseaux de fissures constitués par les diaclases, les plans de clivage ou les joints de stratification.

Mais ces types de fragmentation dépendent aussi des modalités du gel. Le premier correspond au gel modéré et superficiel des climats périglaciaires maritimes (îles australes, Islande et Groenland du Sud-Ouest) et de ceux des hautes montagnes tropicales à alternances gel-dégel journalières. Les variétés continentales à gel intense et prolongé, caractérisées par quelques alternances gel-dégel saisonnières, engendrent le second.

Toutes les autres actions météoriques ne jouent qu’un rôle secondaire et local. Ainsi, la dissolution s’exerce aux dépens des calcaires, avec une certaine efficacité dans les régions suffisamment humides, d’autant plus que les eaux de fonte de neige, froides, ont des teneurs élevées en dioxyde de carbone. Il existe des karsts à lapiés et à grottes sous les hautes latitudes (Spitzberg, Laponie). En revanche, les basses températures, l’insuffisance fréquente d’eau, la médiocrité de la végétation ou son absence réduisent considérablement les actions chimiques et biochimiques. Des migrations limitées d’oxydes métalliques, suivies de leur reconcentration par évaporation, élaborent toutefois de minces croûtes et des vernis ferro-manganiques (nord du Canada, Antarctique).

Processus morphogéniques

Les processus morphogéniques s’exercent sur les éléments des roches meubles comme sur les débris fournis par la gélifraction. Les plus efficaces d’entre eux dépendent étroitement du gel.

La cryoturbation représente la gamme de phénomènes les plus remarquables et les plus spécifiques du domaine périglaciaire. À son origine, il y a la pénétration du gel dans le sol, à une vitesse et jusqu’à une profondeur variant avec sa compacité, sa teneur en eau et l’importance de la couverture isolante de neige et de végétation. Dans les régions à climats très rudes, l’épaisseur de sol et de sous-sol gelés atteint plusieurs centaines de mètres et représente, pour une bonne part, un héritage des périodes froides quaternaires (Sibérie du Nord, Alaska). Pendant un bref été, seule la partie supérieure dégèle, sur une épaisseur qui n’excède guère 2 mètres dans les cas les plus favorables. Ainsi se différencie le pergélisol , gelé en permanence, du mollisol , alternativement gelé et dégelé selon les saisons. C’est cette dernière couche, active, qui exprime les diverses conséquences de ces changements d’état de l’eau.

On citera d’abord les gélistructures dues à la compression progressive du mollisol, entre le pergélisol et la couche superficielle qui regèle en hiver. Il s’agit de plications, d’involutions et d’injections dans les fentes du pergélisol. La cryoturbation engendre aussi des sols structurés , de dimensions et de types très variés, selon le matériel affecté, l’existence d’une toundra et les modalités de l’alternance gel-dégel. Il s’agit de figures géométriques, fermées sur les surfaces planes (polygones de toundra délimités par des fentes de retrait, cercles de pierres, roses de pierres, nids de pierres) ou ouvertes sur les versants (sols rayés ou striés alignés selon la pente, guirlandes allongées transversalement). Enfin, il faut ajouter une série de microformes originales, développées par gonflements différentiels du sol en liaison avec des ségrégations de glace internes, suivis d’affaissements lors de la fusion de la glace. Ce sont les buttes gazonnées (en islandais, thufur ) et les hydrolaccolites des toundras, ou les bourrelets des tourbières cordées.

Avec la cryoturbation, les mouvements de masse trouvent des conditions très favorables lors du dégel qui fournit l’eau, d’autant plus que le pergélisol semble constituer une surface de glissement. On donne le nom de gélifluxion à ces phénomènes, dont les modalités varient avec l’épaisseur et la texture des sols, la topographie et l’existence ou non d’une végétation. Ainsi distingue-t-on les nappes de boue qui s’écoulent sur les versants dénudés, les langues boueuses concentrées dans les talwegs, les coulées de blocaille lorsque des éléments grossiers se mêlent à la matrice argilo-limoneuse fluide. Quand un tapis de toundra stabilise la couche superficielle, le mouvement n’affecte que la masse sous-jacente. Sur les pentes raides, il provoque des déchirures dans le manteau inerte, par lesquelles s’échappent des bavures de boue. On signalera aussi les déplacements liés aux filaments de glace développés sur un sol humide par un gel brusque et court, les pipkrakes , capables de soulever et de basculer des fragments rocheux.

Deux autres processus de transport des matériaux interviennent sur les versants, qui ne sont plus propres au milieu périglaciaire: l’éboulis de gravité et le ruissellement diffus . Le premier correspond à la gélifraction de corniches rocheuses surplombantes. Il crée des dépôts caractérisés parfois par un litage régulier de leurs éléments, appelés «éboulis ordonnés». Bien qu’essentiellement déclenché par le dégel estival, le rôle morphogénique du second n’est pas négligeable, car il bénéficie, au début, de l’imperméabilisation du sol gelé, de l’insignifiance de l’évaporation et, parfois, de celle de la végétation.

Agents d’évacuation

À la base des versants, de grands agents morphogéniques prennent en charge les débris et assurent leur évacuation. En milieu périglaciaire, il s’agit de l’écoulement fluvial et du vent.

L’écoulement fluvial concerne les rivières locales et les grands fleuves allogènes de l’Arctique (Mackensie, Yukon, Ob, Lena, Ienisseï). L’originalité de leur régime hydrologique et de leur activité morphogénique tient aux particularités du climat. Pris par la glace en hiver, en bloc ou en partie, ils s’animent lors de la fusion estivale, parfois épaulée par des pluies. La progressivité de la restitution de l’eau, par égouttage du mollisol, fait que les petites rivières ne connaissent guère de crues. Leurs débits restent modestes ainsi que leur activité érosive. Les fleuves arctiques en ont au contraire d’imposantes. Coulant vers le nord, leurs eaux, d’abord libérées à l’amont, puis bloquées par les bouchons de glace d’aval, débordent largement de leurs lits. Lorsque le flot parvient à briser la résistance de ces embâcles, d’énormes chasses d’eau les balaient et attaquent leurs berges, grâce à leurs radeaux de glace et aux charges de matériaux grossiers qu’elles déplacent. Dans les interfluves, l’inorganisation du drainage, liée à la paralysie prolongée de l’écoulement due au froid, se traduit par la multiplicité des lacs et des tourbières.

Moins spectaculaire dans ses interventions, le vent n’est cependant pas à négliger. Sous les hautes latitudes, il est fort et fréquent; il bénéficie de la sécheresse climatique, de la capitalisation prolongée de l’eau en glace, de la médiocrité de la couverture végétale, enfin de l’abondance du matériel fin fourni par les glaciers ou la gélifraction. Armé d’abrasifs, grains de sable ou cristaux de neige durcis, le vent exerce une corrasion efficace, exprimée par le polissage des roches dures (dolérites, quartzites), le creusement de cupules ou de cannelures et le façonnement de rochers-champignons. Mais l’activité de transport est plus décisive. Elle implique une déflation, aux dépens du manteau neigeux comme de la fraction fine des dépôts périglaciaires, et une accumulation corrélative dont les manteaux de lœss (cf. Modelés et formes dus au vent) sont l’expression la plus remarquable.

Les modelés et les formes de relief périglaciaires

Différentes familles de modelés et de formes périglaciaires résultent de l’activité des systèmes morphogéniques.

Modelés de versants

Quatre types essentiels de modelés de versants correspondent aux principales combinaisons réalisées entre les divers processus morphogéniques.

Les versants de gélifraction résultent de la fragmentation par le gel d’une paroi de roches cohérentes telles que calcaire, grès, granite. La partie rocheuse est uniforme ou découpée en clochetons et en pinacles, à la faveur de l’exploitation de diaclases ou de ravins par la gélifraction. Ses débris s’accumulent à la base, par gravité, en cônes aux débouchés des ravins et en tabliers dans les intervalles. À mesure de l’ablation, la partie rocheuse tend à s’aligner dans le prolongement de ces éboulis ordonnés, plus ou moins perturbés par la gélifluxion et le ruissellement de fonte. Ainsi s’élaborent des versants réglés, au profil rectiligne, dont la pente n’excède pas une trentaine de degrés (fig. 2).

Les versants de gélifluxion se développent dans un matériel argilo-limoneux favorable aux mouvements de masse. Tous offrent un modelé chaotique aux aspects variables selon les modalités du phénomène. Lorsque la pente est faible, le glissement en nappe se traduit par une microtopographie de rides, de bourrelets et de petits bombements. Son accélération sur une pente plus ou moins forte crée des versants boursouflés par des loupes de solifluxion et sillonnés par des déchirures vives. D’innombrables gradins, malencontreusement dénommés «terrassettes» ou «pieds de vache», caractérisent des versants raides et particulièrement dynamiques. Très souvent, des chevelus d’égratignures vives trahissent, sur tous ces versants, une intervention secondaire du ruissellement de fonte diffus.

Les versants à «replats-goletz» restent plus énigmatiques. Coupés par des piliers horizontaux, parfois d’une centaine de mètres de largeur, des talus raides de plusieurs mètres de hauteur les séparant, ils se localisent dans les régions de climats rudes (Sibérie). Des produits de gélifraction grossiers soulignent les talus, alors que les replats ne comportent que du matériel fin cryoturbé, ce qui implique la fourniture de débris hétérogènes par le gel et des effets de triage au cours de leurs déplacements. Un tel modelé résulte d’une combinaison complexe, encore mal définie, entre la gélifraction, la gélifluxion et la cryoturbation.

Les versants à couloirs d’avalanches caractérisent l’étage périglaciaire des moyennes montagnes, principalement dans le domaine tempéré et les régions à climats relativement neigeux des hautes latitudes (Spitzberg occidental). Leurs sillons, profonds et rectilignes, résultent de l’ablation exercée par les avalanches de fond déclenchées lors de réchauffements brusques. En revanche, les avalanches sèches et poudreuses des hautes montagnes restent sans effet géomorphologique.

Modelés et formes fluviatiles

Les modelés et les formes fluviatiles se différencient en fonction de l’importance des organismes d’écoulement. Au creux des vallons en berceau, les petites rivières locales se perdent dans la masse des débris amenés des versants, qu’elles sont impuissantes à évacuer. Mieux alimentés par des reliefs importants, les écoulements de piémont déposent, sur le sol encore gelé, des pellicules de matériaux anguleux en cônes aplatis aux génératrices rectilignes. Étalés sur des kilomètres, ils constituent, par coalescence, de vastes glacis d’accumulation dont l’épaisseur ne dépasse pas quelques mètres (sandr ).

Les grands fleuves arctiques ont, à la fois, une action d’ablation et d’accumulation. Le choc des radeaux de glace et des gros blocs contre les berges dégelées entraîne un sapement latéral actif, par éboulements. L’élargissement démesuré de leurs lits qui en résulte est encore favorisé par l’instabilité des chenaux d’écoulement, liée aux régimes à débâcles. Mais les crues de fusion construisent aussi d’immenses plaines alluviales, avec les quantités considérables de matériaux qu’elles transportent. Dans les eaux calmes des vastes lacs de débordement créés par les embâcles, se déposent des limons et des sables fins, en particulier dans les cours inférieurs en pente faible. Les chasses d’eau de débâcles finissent aussi par abandonner en vrac leurs charges grossières, auxquelles s’ajoutent d’énormes blocs largués par des radeaux de glace ou libérés après leur échouage dans des bras morts. Épandu sur des plaines encore gelées, tout ce matériel recouvre des lacs et des mares pris par le gel. Cette glace fossilisée s’ajoute à la glace de ségrégation concentrée en coins et en lentilles dans les dépôts meubles. Il suffit d’un réchauffement climatique momentané pour provoquer la fusion de celle des couches superficielles. Les tassements résultants engendrent alors un modelé chaotique fait de dépressions fermées, ennoyées ou non, entourées par des collines basses. On lui donne le nom de cryokarst en raison de l’analogie de ces cuvettes avec certains types de dolines (cf. relief KARSTIQUE).

Parmi ces cuvettes, celles qui sont issues de l’évolution des pingos sont les plus caractéristiques. On désigne par ce terme esquimau des collines hautes de plusieurs mètres et atteignant quelques dizaines de mètres de longueur, dues au soulèvement entraîné par la lente formation de grosses lentilles de glace de ségrégation. Contrairement aux hydrolaccolites, formes petites et saisonnières, les pingos ne disparaissent qu’à la suite d’un réchauffement climatique durable. Alors, les collines font place à des dépressions lacustres ou marécageuses, ceinturées par des bourrelets annulaires typiques. Des oscillations séculaires récentes de la température expliquent leur fréquence dans les plaines alluviales de l’Arctique (bas Mackenzie, Alaska, Sibérie). Elles contribuent largement à leur conférer leur aspect chaotique et amphibie si original.

Modelés et formes dus au vent

Si la corrasion exercée par le vent ne se manifeste guère que dans les détails du relief, la déflation et l’accumulation créent, en revanche, des formes et des modelés originaux.

Par vannage des éléments éolisables des sandr , des plaines alluviales et des larges estrans découverts par les régressions liées au glacio-eustatisme, la déflation développe des champs de pierres comparables aux regs sahariens dans les régions très éventées. En aval de ces secteurs d’alimentation, le dépôt du matériel fin s’effectue en zones successives. Celle du sable véhiculé au ras du sol comporte des dunes banales de faibles dimensions, parfois rassemblées en champs d’une certaine étendue (terre de Peary, Antarctique). Mais le sable peut aussi bien s’étaler en nappes informes. Plus originales et plus fréquentes sont les nappes nivéo-éoliennes , édifiées par le dépôt de sable et de neige mêlés. La fusion de celles-ci provoque un tassement de la partie minérale, d’où l’absence caractéristique de triage et de stratification, et les légères ondulations du modelé.

Mais les manteaux de lœss représentent l’aspect le plus spécifique de l’accumulation éolienne en milieu périglaciaire. On sait qu’ils sont constitués par des poussières limoneuses transportées en suspension, puis piégées par une végétation steppique lors de leur retombée sur la marge du domaine froid. Leur épaisseur et leur continuité, variables selon les conditions offertes localement au dépôt, diminuent, dans l’ensemble, en fonction de l’éloignement par rapport à la zone d’alimentation en limons. Les importantes nappes de lœss déposées au cours des glaciations quaternaires, en particulier pendant celle du Würm, font la fertilité de vastes régions agricoles de l’Europe et de l’Amérique du Nord.

Les types de régions périglaciaires

Selon les variantes présentées par les climats froids et les divers systèmes morphogéniques correspondants, des associations différentes de ces formes et de ces modelés permettent de caractériser des types de régions périglaciaires. On définira les principaux d’entre eux.

Désert de gélifraction

Le désert de gélifraction (barren grounds ) se caractérise par un climat très froid et sec, d’où l’insignifiance de la végétation. La sécheresse limite aussi l’efficacité de la gélifraction saisonnière, comme celle de la gélifluxion et du ruissellement. L’attaque des roches cohérentes bénéficie peut-être des grandes amplitudes thermiques diurnes favorables à leur fissuration. Quant au transport des débris sur les versants, il semble s’opérer principalement par gravité.

Comme dans tous les déserts, à cette lente morphogenèse s’ajoutent les effets d’actions éoliennes intenses, à la faveur de la fréquence des vents violents, de la sécheresse, de la longueur du gel et de la dénudation du paysage. D’où l’étendue des champs de pierres et des nappes nivéo-éoliennes, l’abondance relative des dunes et la multiplicité des marques de la corrasion sur les affleurements rocheux et leurs débris. De vastes plaines d’accumulation fluviatile, étalées dans les cours inférieurs des grands fleuves arctiques, permettent aussi l’épanouissement de toute la gamme des formes de la cryoturbation et du cryokarst.

Les rares secteurs de l’Antarctique libres de glace et, surtout, les marges sibérienne et nord-américaine de l’océan Arctique, avec les archipels qui les prolongent, appartiennent à ce type désertique.

Toundras

Les régions de toundras correspondent à des climats moins rudes et relativement plus humides. Les parois rocheuses, dénudées, y subissent les attaques d’une gélifraction active, notamment dans les régions à alternances gel-dégel nombreuses. Mais la présence d’une végétation y atténue généralement l’efficacité des processus morphogéniques, en particulier du vent et du ruissellement. Cette action inhibitrice est plus ou moins accusée selon les caractéristiques thermiques et hydriques de ces régions.

Au point de vue morphodynamique, on peut distinguer deux types majeurs de toundras, principalement en fonction de l’existence ou de l’absence d’un pergélisol. La toundra avec pergélisol représente, sans doute, le type de milieu périglaciaire le mieux diversifié par ses modelés et ses formes, en raison des multiples combinaisons réalisées entre la gélifraction, la gélifluxion, la cryoturbation et le cryokarst, selon les conditions locales (Alaska, nord de l’Alberta, nord-est du Spitzberg). La toundra sans pergélisol signale des climats relativement plus doux et plus humides (sud-ouest de l’Islande et du Groenland, îles australes). Elle se caractérise par une gélifraction active due à la fréquence des alternances gel-dégel, tandis que la forte humidité développe la solifluxion et permet un certain ruissellement. Dans les deux cas, des variantes plus sèches, à formations végétales ouvertes, se caractérisent aussi par le développement des actions éoliennes (nord-est de l’Islande, terre de Peary, Alaska).

Étages périglaciaires

Les étages périglaciaires des montagnes illustrent des types de milieux morphoclimatiques très originaux, en raison des modifications imposées au climat et à la dynamique des versants par le relief. Ainsi, la raideur des pentes intensifie l’activité des ruissellements diffus et des torrents. L’ablation et la dissection résultantes, avec le froid, contrarient le développement des sols et de la végétation. D’où l’importance décisive des actions mécaniques, encore accrue localement par les conditions défavorables au maintien d’une couverture de neige. Enfin, la variabilité de l’exposition multiplie les oppositions thermiques et hydriques, tandis que les contrastes topographiques bloquent les entreprises du vent.

L’intervention des facteurs climatiques zonaux diversifie les étages périglaciaires selon leur latitude. Dans l’étage des montagnes humides des moyennes latitudes, le pergélisol est exceptionnel en raison de l’obstacle opposé par un manteau neigeux épais à la pénétration du gel. Grâce aux précipitations abondantes et à la pente, la gélifluxion est efficace malgré la prairie alpine qui tapisse les versants. L’activité de la gélifraction saisonnière s’exerce sur les parois rocheuses dénudées, frangées par des éboulis de gravité. Par ailleurs, l’importance de l’exposition s’exprime par l’opposition entre les versants à l’ombre, froids et nus (ubac, envers), et les versants ensoleillés, où les oscillations thermiques saisonnières du sol sont plus fréquentes (adret, endroit). De même, l’orientation par rapport aux vents pluvieux crée des différences morphodynamiques manifestes entre les versants secs et humides.

Dans les montagnes sèches à ensoleillement intense (Alpes du Sud, Haut-Atlas marocain, Zagros, Andes sèches), des glaciers rocheux caractérisent l’étage périglaciaire, à proximité de sa limite avec l’étage glaciaire. Il s’agit d’organismes de transport originaux, constitués de blocs rocheux et de pierraille cimentés en profondeur par de la glace interstitielle.

Le haut Var et la haute Tinée en offrent de beaux exemples à partir de 2 500-2 600 mètres d’altitude. Ils présentent l’aspect de remblais délimités par de vigoureux talus, se terminant par un front très abrupt (de 35 à 40 degrés). La pente moyenne de l’ensemble reste modeste, de l’ordre de 10 à 20 degrés seulement. Leur surface, où se rassemblent les plus gros blocs, est souvent accidentée par des bourrelets longitudinaux séparés par de larges sillons. Des bourrelets arqués concentriques leur succèdent dans le secteur frontal. Au total, la hauteur de ces constructions est d’ordre métrique, leur largeur et leur longueur d’ordre hectométrique, cette dernière pouvant dépasser le kilomètre. Selon le rapport largeur/longueur, on distingue deux types de glaciers rocheux, en langue et en lobe . Les premiers s’allongent dans des vallées en contrebas de grands versants pourvoyeurs en matériaux. Les seconds s’étalent au pied de parois rocheuses à tabliers d’éboulis. Les uns et les autres reposent soit sur un plancher rocheux, soit sur un matelas d’anciennes moraines contribuant à leur alimentation.

Le mouvement des glaciers rocheux résulte surtout du fluage de la masse de débris bétonnée par la glace remplissant ses vides. Il s’effectue selon le rythme annuel gel-dégel, bénéficiant à la fois de l’attraction gravitaire et de la poussée exercée par les matériaux d’amont. En période de dégel, une partie des eaux de fusion s’échappe à leur front par des sourcins alimentant de petits lacs ou des tourbières. En période de gel, elles assurent la production de la glace interstitielle qui pérennise le béton. Dans tous les cas, les vitesses de déplacement n’excèdent guère quelques centimètres par an.

L’absence de saisons thermiques, sous les tropiques humides, caractérise l’étage périglaciaire des montagnes supérieures à 4 000 mètres des basses latitudes (Afrique orientale, Andes vénézuéliennes, péruviennes et boliviennes, Him laya). Le rythme des processus morphogéniques y est diurne. La gélifraction, en particulier, dépend des oscillations journalières de la température autour de 0 0C. Le gel quotidien ne permet pas sa profonde pénétration dans le sol, d’où l’absence de pergélisol. De plus, des précipitations généralement limitées confèrent un aspect désertique à ces hauteurs, où l’opposition morphodynamique entre les versants semble atténuée du fait d’un rôle amoindri de l’exposition.

L’intervention de l’exposition n’apparaît guère plus marquée dans les toundras de montagnes des hautes latitudes (Alaska, Sibérie orientale, par exemple), qui sont parfaitement intégrées au milieu morphoclimatique zonal.

Au-delà de traits fondamentaux communs, imposés par le rôle décisif de l’alternance gel-dégel de l’eau dans le façonnement du relief, le domaine périglaciaire présente donc des aspects diversifiés par le jeu des facteurs géographiques. On a simplement évoqué certains d’entre eux. Leurs caractéristiques restent à préciser, comme d’autres types restent à définir, dans le cadre des préoccupations de la géomorphologie climatique.

Le périglaciaire de Mars

Les modelés périglaciaires ne semblent pas être l’apanage de la Terre. En fait, les sondes Viking ont révélé la présence de formes de relief comparables sur Mars, où elles se caractérisent par leurs dimensions gigantesques [cf. MARS]. Ainsi, Vastitas Borealis, vaste zone de laves recouvertes en partie de dépôts éoliens, comprise entre 700 nord et 300 sud, présente des sols polygonaux délimités par des fissures de quelques centaines de mètres de largeur, qui atteignent de 5 à 10 kilomètres de diamètre. Certains planétologues pensent que ces figures géantes signalent un domaine périglaciaire caractérisé par une alternance gel-dégel au rythme séculaire, au cours d’une ère glaciaire très longue. Dans quelques régions, de grandes dépressions aux contours irréguliers se multiplient au point de créer un relief anarchique comparable à celui d’un karst. Cette fois encore, on pense qu’il s’agit d’un cryokarst développé par la fusion partielle d’un épais pergélisol, à l’origine d’importants affaissements superficiels. Localement, des chaos de blocs de plusieurs centaines de kilomètres de longueur se développent à partir de leurs escarpements bordiers, certains de leurs éléments atteignant 10 kilomètres de longueur à l’amont! Leur association avec de vastes chenaux invite à envisager un transport avec intervention de l’eau.

À l’heure actuelle, le climat de Mars, trop rigoureux, interdit toute alternance gel-dégel, l’eau n’existant qu’à l’état de glace dans le sol et le sous-sol. Il s’agirait donc de modelés périglaciaires hérités d’une période de climat relativement plus doux, peut-être caractérisée également par une plus grande richesse en eau d’une planète appauvrie depuis lors par dégazage (?).

Encyclopédie Universelle. 2012.

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